« Et toi, tu veux faire quoi plus tard ? » Cette question, entendue dès l’enfance, revient comme un refrain tout au long de la vie. Elle suppose qu’il existerait quelque part une « bonne » réponse, une voie tracée à suivre, un rôle à remplir. Pourtant, combien d’entre nous, après avoir coché toutes les cases, se retrouvent à douter, à ressentir un vide, ou simplement à ne plus savoir pourquoi ils avancent ?
Et si, au lieu de chercher notre place à l’extérieur — dans un titre, un métier, une reconnaissance sociale — nous apprenions à l’écouter à l’intérieur de nous-mêmes ?
Nos besoins du moment, aussi simples ou changeants soient-ils, peuvent être des balises précieuses. En leur prêtant attention, nous ne cherchons plus à trouver notre place comme un point fixe sur une carte, mais à l’habiter, ici et maintenant, en fonction de ce que nous vivons réellement.
Dans un monde rapide, exigeant, où les normes et les attentes sociales dictent souvent nos choix, cette posture intérieure peut être profondément libératrice. Elle ouvre la voie à une orientation plus vivante, plus personnelle, qui respecte nos rythmes, nos désirs fluctuants et notre humanité. Suivre ses besoins du moment, ce n’est pas fuir l’engagement : c’est peut-être au contraire la manière la plus sincère de le trouver.
Le mythe de la « bonne place » figée
Depuis l’enfance, nous baignons dans un imaginaire collectif qui valorise la stabilité, la réussite et la clarté de trajectoire. On nous pousse à choisir le bon métier, la bonne voie, la bonne décision, comme s’il existait une seule réponse valable à la question de notre place dans le monde. Cette injonction à « réussir sa vie » selon des critères prédéfinis — un CDI, une maison, un statut social reconnu — repose sur l’idée qu’une fois cette place trouvée, tout s’alignera.
Mais cette vision figée de la vie, bien que rassurante en apparence, peut rapidement devenir un carcan. La pression de trouver sa voie une fois pour toutes — souvent dès l’adolescence ou au début de l’âge adulte — pousse à des choix précipités, dictés plus par la peur de l’échec ou le besoin de validation que par un réel élan intérieur. On s’efforce de cocher des cases, parfois au prix de l’écoute de soi.
Les conséquences ne tardent pas à se faire sentir : on se compare sans cesse aux autres, on s’enferme dans des rôles qui ne nous ressemblent plus, et l’on s’éloigne peu à peu de ce qui nous anime profondément. Beaucoup finissent par ressentir un blocage, une fatigue intérieure, ou cette sensation diffuse le sentiment de passer à côté de sa vie sans savoir pourquoi. La quête d’une place fixe devient alors un obstacle à l’évolution naturelle de l’être humain, qui est, par essence, en mouvement.
Écouter ses besoins du moment : une approche vivante et évolutive
Plutôt que de chercher une place figée à atteindre, il est possible de l’habiter au présent, en se reconnectant à ses besoins. Mais que signifie exactement « écouter ses besoins » ? Il ne s’agit pas d’un caprice ou d’un confort passager, mais d’un retour à ce qui nous anime profondément, dans notre corps, notre cœur et notre esprit.
Nos besoins sont multiples et interconnectés :
- physiques (repos, mouvement, alimentation),
- émotionnels (sécurité, reconnaissance, expression),
- relationnels (lien, soutien, solitude choisie),
- intellectuels (stimulation, clarté, compréhension)
- ou encore spirituels (sens, connexion, paix intérieure).
Ils ne sont ni faibles ni égoïstes : ils sont les messagers de notre vitalité.
Ce qui rend cette approche puissante, c’est qu’elle reconnaît la nature évolutive de ces besoins. À certains moments de la vie, on peut ressentir un besoin intense de ralentir, de prendre soin de son corps ou de se retirer du tumulte pour retrouver de la clarté. À d’autres périodes, ce sera le besoin de créer, de se lancer dans un projet, de s’entourer, d’apprendre ou de contribuer. Ces changements ne sont pas des contradictions, mais des ajustements sains face à ce que la vie nous demande ou nous inspire.
Par exemple, une personne très engagée professionnellement peut, après un épuisement, ressentir un besoin profond de repos et de recentrage, là où auparavant l’action et la performance la nourrissaient. Ce qui a été mon cas lors de mon burn-out. Une autre, en quête de sens, peut ressentir le besoin de se reconnecter à la nature ou à une communauté, alors qu’elle avait jusque-là cultivé l’indépendance et l’autonomie. En honorant ces besoins, nous ne nous éparpillons pas : nous nous adaptons à la vie en nous, au lieu de nous y opposer.
Se reconnecter à soi pour mieux s’orienter
Si écouter ses besoins du moment peut nous guider vers une vie plus alignée, encore faut-il savoir les entendre. Dans un monde saturé de distractions, de stimulations externes et d’injonctions contradictoires, cela demande une forme de ralentissement volontaire. C’est là qu’interviennent des outils simples mais puissants : l’introspection, l’écoute corporelle et la pleine conscience.
- Prendre un moment pour s’interroger — De quoi ai-je vraiment besoin en ce moment ? — peut déjà faire bouger des lignes.
- Écouter les signaux du corps (tensions, fatigue, énergie, légèreté), observer les émotions sans les fuir, ou simplement se reconnecter au souffle permettent de distinguer ce qui relève d’un besoin profond (repos, sens, lien) d’une envie passagère (distraction, fuite, automatisme).
- Questionner et Découvrir ce que cela peut apprendre sur soi-même : Qu’est-ce qui mettrait plus de sens dans ma vie en ce moment ? Qu’est-ce qui est à l’agenda de mon âme en ce moment ? Qu’est-ce qui me donnerait plus de joie à ma vie ? …
Ce discernement ne vise pas à juger, mais à mieux s’orienter : toutes les envies ne nourrissent pas, et tous les besoins ne sont pas confortables, mais ils sont essentiels.
De nombreuses personnes ayant changé de trajectoire témoignent de cette écoute progressive de soi. Camille, par exemple, cadre dans une entreprise de conseil pendant dix ans, a réalisé qu’au-delà de la réussite sociale, elle étouffait. Ce n’est pas une révélation soudaine qui l’a fait changer, mais l’attention à son corps épuisé, à son besoin de nature et de création. Elle a progressivement réduit son temps de travail, puis s’est formée à la céramique, un domaine qui lui permet aujourd’hui de vivre avec plus de cohérence.
Autre exemple : Malik, ancien ingénieur, a suivi un tout autre chemin non pas à cause d’un burn-out, mais grâce à une curiosité grandissante pour le travail social. Il a identifié un besoin de contribution plus direct, de lien humain, qu’il ne retrouvait pas dans son métier d’origine. Aujourd’hui, il accompagne des jeunes en reconversion et témoigne que c’est en respectant ses besoins du moment — apprentissage, engagement, simplicité — qu’il a trouvé une forme d’apaisement et de justesse.
Ces parcours ne sont ni des modèles ni des recettes. Ils illustrent simplement que s’orienter à partir de soi, plutôt que contre soi, est une voie possible. Non linéaire, mais vivante. Non parfaite, mais profondément humaine.
Si je prends mon cas personnel, après une première carrière en tant qu’assistante de direction, j’ai entamé des études de coaching, puis rejoint plusieurs postes dans un village vacances tout en développant des projets d’entreprenariats en parallèle.
Trouver sa place comme un processus, pas une destination
Et si « trouver sa place » n’était pas un but à atteindre une fois pour toutes, mais un processus vivant qui évolue avec nous ? Cette perspective change profondément notre rapport à l’orientation personnelle et professionnelle. Elle invite à sortir de l’idée figée d’un poste, d’un rôle ou d’un statut définitif, pour envisager la place comme quelque chose de mouvant, en résonance avec notre croissance personnelle, nos apprentissages, nos transformations. C’est l’expérimentation et la confrontation directe avec notre environnement, les autres, qui permettent de mieux se connaître. Et non en faisant de l’introspection assis seul(e) dans son coin. À ce propos, je vous invite à visionner la vidéo de Fabrice Midal « Comment trouver sa place ».
Chaque étape de la vie peut nous amener à réévaluer ce qui nous convient. Ce qui faisait sens à 25 ans peut ne plus nourrir à 40. Un environnement dynamique peut un jour enthousiasmer, puis fatiguer. Un besoin de transmission ou de contribution peut émerger après des années centrées sur la performance ou l’exploration. Respecter cette fluidité, c’est reconnaître que nous ne sommes pas statiques — et que nos places ne le sont pas non plus.
Cela implique aussi d’écouter son propre rythme, ses cycles internes : moments d’élan, de retrait, de doute, de clarification. Plutôt que de forcer les étapes ou de se comparer à un idéal extérieur, il s’agit de s’honorer là où l’on en est. Ce respect du rythme personnel est souvent contre-culturel dans une société qui valorise la productivité continue et les trajectoires « lisibles ». Et pourtant, c’est souvent dans ces pauses, ces réajustements, que germent les intuitions les plus justes.
L’impact d’une telle approche est profond. Lorsqu’on accepte que la place se découvre pas à pas, en lien avec ses besoins et son évolution, on cesse de se juger ou de se sentir « en retard ». On gagne en alignement, en bien-être, en authenticité. On libère aussi une part de créativité : celle qui naît quand on ne cherche plus à correspondre à un moule, mais à exprimer ce qui nous habite vraiment.
Trouver sa place devient alors un chemin de connaissance de soi, de présence à la vie et de création de sens. Non plus une destination à atteindre, mais un mouvement à honorer.
Une place qui se vit, plus qu’elle ne se cherche
Et si notre place n’était pas à trouver, mais à créer, pas à pas, en écoutant ce qui vibre en nous à chaque étape de la vie ? En nous reconnectant à nos besoins du moment, nous ne cherchons plus à entrer dans une case, mais à occuper pleinement l’espace qui nous correspond ici et maintenant — même s’il évolue, même s’il dérange, même s’il échappe aux normes.
Ce chemin demande du courage, de l’écoute, parfois du lâcher-prise. Mais il offre en retour une forme de liberté rare : celle d’être soi, sans masque ni justification. Dans un monde qui valorise la destination, oser suivre le flow est un acte profondément vivant.
Alors peut-être que la vraie question n’est pas « Quelle est ma place ? », mais « Qu’est-ce qui m’appelle maintenant ? » — et quelle version de moi-même suis-je prêt·e à rencontrer en y répondant.
Pour aller plus loin, découvrez mon livre sur le lâcher prise et la confiance en soi en guise de compagnon de route.